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vendredi 26 janvier 2024

21 janvier 1924 : la mort de Lénine, dirigeant de la révolution russe

 21 janvier 1924 : la mort de Lénine, dirigeant de la révolution russe

24 Janvier 2024

Le 21 janvier 1924, Lénine mourait. La classe ouvrière russe perdait le principal dirigeant de la révolution et de l’État qui en était issu. Ce décès allait avoir des conséquences catastrophiques.

Lénine a été l’exact contemporain de l’extraordinaire montée ouvrière de la fin du 19e siècle au début des années 1920. Elle a culminé avec la révolution d’Octobre en Russie, la construction du premier et, jusqu’à ce jour, unique État ouvrier, la vague révolutionnaire de 1917-1923, la fondation de l’Internationale communiste, qui voulait être le parti mondial de la révolution prolétarienne. Lénine fut, avec Trotsky, le dirigeant révolutionnaire le plus éminent de cette période. Toute sa vie, tous ses choix politiques et son génie particulier l’y avaient préparé.

De son vrai nom Vladimir Ilitch Oulianov, il était né en 1870 dans la famille d’un fonctionnaire russe, responsable des écoles de la région de Simbirsk. L’Empire des tsars se caractérisait alors par son arriération économique, sociale et morale, le poids de la dictature et de l’Église. Chaque génération de la jeunesse intellectuelle fournissait son contingent de révolutionnaires prêts à tout sacrifier pour renverser ce régime. Le frère aîné de Lénine, Alexandre, fut ainsi condamné et exécuté en 1887 pour avoir fabriqué des bombes destinées au tsar. Vladimir ainsi que son frère cadet et deux de ses sœurs voulurent continuer son combat révolutionnaire.

Alors que le futur Lénine achevait ses études secondaires et cherchait sa voie politique, le mouvement ouvrier était en plein essor. En Europe de l’Ouest, et particulièrement en Allemagne, les travailleurs se dotaient de grands partis socialistes, armés du programme marxiste, réunis dans l’Internationale ouvrière en 1889. Dans l’Empire russe, une classe ouvrière moderne naissait, autour des industries extractives à capitaux européens, du textile, du chemin de fer indispensable à cet immense pays, des industries de guerre. Elle fut tout de suite très concentrée et combative. Du fait même de la dictature et de la férocité des rapports sociaux, les grèves spontanées débouchaient immanquablement sur des affrontements avec l’État.

Toute une génération de révolutionnaires, dont Lénine, reconnut alors dans le prolétariat la seule classe sociale capable de renverser vraiment l’ordre existant, non seulement dans l’Occident développé mais aussi dans la Russie arriérée. Le combat de ces militants était entrecoupé de périodes de prison et de déportation, mais continuait dans trois directions : il fallait militer parmi les travailleurs et participer à tous leurs combats ; approfondir les idées et se délimiter des autres courants politiques ; nouer des liens avec les autres groupes militant sur la base du marxisme, en particulier avec la génération précédente, désormais dans l’émigration et dont le capital politique était indispensable.

Cette activité, dans laquelle Lénine prenait une part de plus en plus importante, se concrétisa à partir de 1901 par la publication de l’Iskra, journal politique clandestin, diffusé dans tous les centres ouvriers de Russie. Elle déboucha sur la constitution du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), en 1903.

À l’occasion de ce congrès constitutif, puis dans la période qui suivit et jusqu’à la révolution de 1905 en Russie, Lénine développa deux idées-forces. Il insistait sur la nécessité de construire une organisation de révolutionnaires professionnels qui puisse assurer la continuité politique et matérielle de l’activité. Il militait aussi pour que, dans la révolution à venir, la classe ouvrière soit préparée à prendre la tête du mouvement contre le tsarisme, avec ses méthodes, en avançant ses revendications et des perspectives en lien avec le prolétariat européen. C’est sur cette base politique et sur celle d’une patiente activité d’organisation que se construisit le Parti bolchevique.

En août 1914, la grande majorité des partis de l’Internationale ouvrière trahirent leur programme et leurs engagements, chacun se rangeant derrière sa bourgeoisie dans la guerre qui commençait. Lénine et une grande partie des bolcheviks, eux, restèrent internationalistes, affirmant qu’il fallait transformer la guerre impérialiste en guerre civile. C’était dire, de la façon la plus directe et la plus complète, qu’on ne peut sortir de la boucherie impérialiste que par la révolution prolétarienne.

À partir de 1917, les travailleurs des pays en guerre commencèrent à relever la tête et le programme de Lénine devint, progressivement, celui de millions de prolétaires, en Russie, en Allemagne, en Italie, etc. En Russie, maillon le plus faible de la chaîne impérialiste, les ouvriers de Petrograd chassèrent le tsar en février 1917. L’activité passée de Lénine, incarnée dans le Parti bolchevique, l’orientation qu’il sut donner à celui-ci rendirent possible la prise de pouvoir par la classe ouvrière en octobre 1917. C’est son autorité, acquise par tout son passé, qui convainquit ses camarades que le prolétariat pouvait prendre et garder le pouvoir, dans un pays en crise, ravagé par la guerre, arriéré, à majorité paysanne.

Lénine fut le principal dirigeant de cet État ouvrier qui dut faire face à de multiples difficultés : les interventions étrangères et la résistance des anciennes classes possédantes, la désorganisation générale, la famine et le typhus. Il fut aussi le principal dirigeant de l’Internationale communiste, proclamée en 1919 pour que les travailleurs du monde entier se donnent l’outil de leur libération. C’était deux aspects d’un même combat, car ni Lénine ni aucun bolchevik n’imaginait à l’époque que la Russie des soviets pût se maintenir sans le renfort des travailleurs des autres pays d’Europe ni ne doutait que l’objectif à atteindre fût la révolution mondiale.

La Russie des soviets restait isolée, partout la classe ouvrière dut battre en retraite. Les déformations bureaucratiques de l’État ouvrier apparurent, combattues depuis le début par Lénine et Trotsky, mais elles s’étendirent et se cristallisèrent autour de Staline et de son clan. Lénine entama aux côtés de Trotsky le combat contre le stalinisme naissant, jusqu’à son décès, à 54 ans, en 1924. La bureaucratie allait alors pouvoir transformer son cadavre en momie et faire de l’enseignement du léninisme un catéchisme absurde.

Après Lénine, la tradition et l’expérience du marxisme révolutionnaire allaient être défendues et transmises aux générations suivantes par Trotsky et ses compagnons. Aujourd’hui, Lénine reste, et restera, celui qui a osé mener une politique révolutionnaire par laquelle les travailleurs ont pris en main leur propre destinée et celle d’un pays tout entier, faisant de la révolution mondiale une perspective réelle.

                                                         Paul GALOIS (Lutte ouvrière n°2895)

 

 

Les prochaines permanences prévues à Argenteuil :

-Aujourd’hui vendredi 26 janvier : de 15h40 à 16 h40 au marché du Val-Nord ;

-et de 17 h.15 à 18 h.15, « Carrefour Babou » ;

-Samedi 27 janvier : de 10 h.15 à 10 h55 devant Monoprix 

-de 10 h30 à midi, centre commercial cité Joliot-Curie ;

-de 11 h à midi devant Auchan au Val-Sud ;

-et de 11 h à midi au marché de la Colonie ;

-Dimanche 28 janvier, de 10 h15 à 10 h55 devant l’Intermarché du Centre ;

-et de 11 h à midi au marché Héloïse ;

-Lundi 29 janvier : de 18 à 19 heures, centre cl des Raguenets à Saint-Gratien ;

-Mercredi 31 janvier : de 11 h.30 à midi, marché des Champioux.

 

 

Toutes les semaines, l’hebdomadaire Lutte ouvrière est aussi en vente à la librairie Le Presse-papier et au Tabac-Presse du mail de la Terrasse du quartier du Val-Nord que nous remercions.

 

 

N’oubliez pas maintenant de réserver votre billet d’entrée pour notre banquet local qui aura lieu en journée le dimanche 24 mars prochain. Parlez-en autour de vous. Le prix du repas est désormais fixé. Comme l’an dernier, 17 euros pour les adultes, 8 pour les enfants jusqu’à 14 ans.

 

Samedi 27 janvier

Cercle Léon Trotsky

Chaos économique mondial et marche à la guerre : un système capitaliste à renverser

À 15h00

Grande salle de la Mutualité

24 rue Saint-Victor, Paris 5e Métro Maubert-Mutualité

Participation aux frais : 3 euros

                                                        RDV à Argenteuil 13 h30

jeudi 8 mars 2018

Education, priorité, mon œil !


Il faudra que nous le criions haut et fort le 22 mars !

Un « Forum pour l’Education populaire » avait lieu hier à l’ESPE de Cergy (l’ex-IUFM). On ne sait pas trop ce qui s’y est dit, mais chacun connaît la réalité de cette « priorité » dans les quartiers populaires, en particulier dans le Val d’Oise, à Argenteuil et Sarcelles-Garges-les-Gonesse. Ce qui a amené plus dizaines d’enseignants de ces villes à se faire entendre à l’entrée de ce Forum. Ci-dessous, un des tracts distribués rappelant la situation de l’Education sur Argenteuil. Effectivement, elle y est en danger.

Education en danger à ARGENTEUIL


Après un lancement en fanfare de la réforme de l’Éducation prioritaire, il y a maintenant quatre ans, le silence médiatique qui s'est imposé depuis devient...assourdissant.

Il était pourtant question de « donner plus » à ceux qui ont le moins...

Quelle réalité pour les établissements et écoles de notre ville ?


A Argenteuil, les effectifs explosent partout.

Comme partout en France, on a habillé Pierre et déshabillé Paul !

Ainsi, pour l'entrée de quelques écoles dans le Réseau d’Éducation Prioritaire, les quatre lycées d'Argenteuil en ont été exclus. 

Les seuils d'effectifs qui, jusque-là étaient censés maintenir des conditions d'études et d'enseignement raisonnables ont explosé : 35 élèves voire plus en lycées ; des classes de plus de 26 en collèges et de 25 en élémentaire et en maternelle.

La situation n'est plus tenable et ce n'est pas la dotation prévue pour la rentrée 2018 qui va régler la situation tendue dans les écoles et établissements de la ville.

Dans les écoles élémentaires REP d'Argenteuil, la mise en place des « CP à 12 » va se faire au détriment des effectifs des autres classes et au détriment des postes « Plus de Maîtres Que De Classe », et cela souvent sans locaux disponibles. Ce n'est pas acceptable !

Quelles conséquences ?


Le climat scolaire se détériore partout. Ce que les enseignants pouvaient faire avec 20 à 22 élèves n'est plus possible à 30 ! La souffrance au travail est manifeste. Les élèves, eux, ne se sentent plus en confiance. Nombreux décrochent, les résultats ne progressent plus.

Des phénomènes de violence, qu'on avait su endiguer pendant quelques années, s'aggravent soit dans les établissements, soit aux abords.

Les enseignants les plus jeunes ne souhaitent qu'une chose : partir et espérer de meilleures conditions d'enseignement.  Le « turn over » des équipes est plus fort qu'ailleurs : leur fragilité est renforcée. On constate le recours fréquent à des personnels précaires jetés dès qu'on n'en a plus besoin !

Globalement, on assiste à l’augmentation de postes non pourvus et d’absences non remplacées. Dans ce contexte, les réponses des autorités (Rectorat, Direction académique des Services de l’Éducation nationale, Mairie, Conseil départemental) sont affligeantes ! Les élèves sont entassés dans les établissements existants : + 499 élèves en collège entre 2010 et 2017 (soit l’équivalent d’un collège) ; + 712 en lycée sur la même période.



Situation d’urgence éducative


Face à ce constat accablant, nous ne pouvons que réagir ! Exigeons des moyens !


                    Retour des lycées dans l’ Éducation prioritaire.

                    Une dotation de postes supplémentaire pour avoir moins d’élèves par classe : maximum de 20 par classe en maternelle, élémentaire et collège et 24 en lycée.

                    Création de postes à temps plein en nombre suffisant pour faire face à l’explosion démographique et la diminution des heures supplémentaires, au dispositif « plus de maîtres que de classes » ainsi que les dispositifs UPEAA

                    Plus de personnels accompagnant-e-s et enseignant-e-s (CPE ; Assistants d’éducation ; ATSEM, AVS…) et maintien/transformation des personnels en contrat aidés en emplois statutaires.

                    Recrutement de médecins et d'infirmières scolaires à la hauteur des moyens.

                    Rétablissement du RASED sur la ville et des postes E et G et psychologue scolaire en nombre suffisant.

                    Une ATSEM par classe + retour du vivier d'ATSEM volant-e-s remplaçant-e-s

                    Refonte de la carte scolaire, construction d’un nouveau collège à Argenteuil et construction de nouveaux locaux permettant d’accueillir les CP à 12 ;



Education, villes ou campagnes, des fermetures, on n’en veut pas

Economies sur le dos des enfants



Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale, vient de confirmer « la fermeture de 200 à 300 classes grand maximum » pour la rentrée 2018.

Comme ces fermetures de classes sont surtout dans des zones rurales, il prétexte la baisse démographique dans ces zones. Argument fallacieux puisque quand c’est l’inverse et que le nombre d’élèves augmente, il n’y a pas plus de création de classes.

Pour les cadeaux au patronat, il n’y a pas de petites économies… sur les petits.


Vive dans le monde ce 8 mars pour le combat pour les droits des femmes et l’égalité

vendredi 15 décembre 2017

Révolution russe de 1917 (46) : la question de l’Assemblée constituante


La convocation de l’Assemblée constituante… et sa dissolution

Alors que l’élection d’une Assemblée constituante figurait au programme de tous les partis qui soutenaient les gouvernements successifs issus de la révolution de Février, tous repoussèrent sa convocation en même temps qu’ils prêchaient la patience aux masses et différaient la paix et la réforme agraire. Les élections à la Constituante n’eurent lieu qu’après l’insurrection d’Octobre, sur la base de listes de candidats établies des mois plus tôt avant la scission du parti socialiste-révolutionnaire (SR). Dans ces circonstances, l’Assemblée qui se réunit les 5 et 6 janvier 1918 avait une majorité socialiste révolutionnaire de droite, hostile aux soviets. Dans L’Avènement du bolchevisme, Trotsky revient sur le retard qu’avaient les députés de cette assemblée sur la conscience de la majorité des exploités de Russie.
« L’ajournement continuel de l’Assemblée constituante ne s’était pas produit sans avoir des conséquences fâcheuses pour elle. Conçue dans les premiers jours de la révolution, elle ne vint au monde qu’après huit ou neuf mois d’une lutte des classes et des partis pleine de difficultés et d’acharnement. Elle arriva trop tard pour pouvoir jouer encore un rôle actif. (...)
Le parti le plus nombreux de la révolution dans sa première phase était le parti SR. (…) De plus en plus, l’aile gauche s’en isolait, elle qui comprenait une partie des ouvriers et les masses profondes du prolétariat rural. Cette aile gauche entra en opposition irréductible avec la petite et la moyenne bourgeoisie qui étaient à la tête du Parti socialiste-révolutionnaire. (…) Les élections elles-mêmes eurent lieu dans le courant des premières semaines qui suivirent la révolution d’Octobre.
La nouvelle du revirement qui venait de se produire se propagea, d’une façon relativement lente, comme par ondes concentriques, de la capitale dans les provinces, et des villes dans les villages. Les masses paysannes en beaucoup d’endroits étaient loin de comprendre ce qui se passait à Pétrograd et à Moscou. Elles votèrent pour “la terre et la liberté”, et elles votèrent pour ceux qui les représentaient dans les comités agraires. Mais, ce faisant, elles votaient pour Kérensky et pour Avksentiev, eux qui prononçaient la dissolution de ces comités agraires et qui faisaient arrêter leurs membres ! (…)
Dans la “société de classes” les institutions démocratiques, non seulement font obstacle à la lutte des classes, mais encore elles assignent aux intérêts de classe une expression tout à fait insuffisante. Sous ce régime, les classes possédantes ont encore à leur disposition d’innombrables moyens pour adultérer, perturber et violenter la volonté des masses populaires et ouvrières. Et les institutions de la démocratie sont encore plus imparfaites pour exprimer la lutte des classes lorsqu’on est en temps de révolution. (...) Grâce à la lutte franche et directe pour la puissance gouvernementale, les masses ouvrières accumulent dans un minimum de temps un maximum d’expérience politique et progressent rapidement dans la voie de leur développement. (...) »
Dans L’An I de la révolution russe, Victor Serge décrit la fin de cette Assemblée morte-née.
« La gauche, moins nombreuse, avait en revanche l’appui bruyamment manifesté des tribunes publiques bondées de soldats, de marins et d’ouvriers. Sverdlov, président de l’Exécutif panrusse des Soviets, invita l’Assemblée à s’associer à la Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité. » Cette déclaration approuvait les décrets votés par le congrès des Soviets. Devant le refus de la majorité, les Bolcheviks déclarèrent : “Ne désirant pas voiler une seule minute les crimes des ennemis du peuple, nous déclarons nous retirer de l’Assemblée constituante, nous en remettant au pouvoir des Soviets pour décider définitivement de l’attitude à adopter envers la partie contre-révolutionnaire de cette assemblée”. Victor Serge raconte : “Vers quatre heures du matin, les socialistes-révolutionnaires de gauche s’étant retirés à leur tour après une déclaration analogue à celle des Bolcheviks, un marin s’approcha de la tribune présidentielle. D’une voix ferme, sans menace, ironique et tranquille, il dit : le corps de garde est fatigué. Je vous prie de quitter la salle des séances. (…) La dissolution de la Constituante fit sensation à l’étranger. Dans le pays, elle passa inaperçue. »

vendredi 8 décembre 2017

Révolution russe de 1917 : la Révolution au fil des semaines (43) Brest-Litovsk


La paix de Brest-Litovsk 

Le congrès des soviets avait proposé à tous les peuples belligérants « une paix juste et démocratique, immédiate et sans annexion ». Mais, en attendant que la révolution éclate en Allemagne, c’est avec l’état-major des Empires centraux que le pouvoir soviétique dut signer un armistice, le 2 décembre 1917, dans la ville de Brest-Litovsk. C’est Trotsky qui conduisit les négociations de paix, de décembre 1917 à février 1918, cherchant à gagner du temps afin, disait-il, « de donner aux ouvriers d’Europe une preuve éclatante et incontestable de la haine mortelle qui existait entre nous et les gouvernants de l’Allemagne ». Victor Serge décrit ces négociations dans son livre L’An I de la révolution :
« Y eut-il jamais entre négociateurs ennemis plus grande incompatibilité ? (…) Les négociateurs avaient conscience de représenter, bien plus que des États en guerre – le mot d’État appliqué à la jeune république des Soviets faisait sourire les diplomates de tous les pays, des mondes incompatibles. Les vieilles finesses conventionnelles de la diplomatie manquaient tous leurs effets sur les Russes ; le verbe révolutionnaire de ceux-ci déterminait chez leurs partenaires un malaise indigné. (…)
Les bolcheviks, adversaires de principe de toute diplomatie secrète, avaient exigé la publication du compte-rendu sténographique des pourparlers. Par-dessus la tête des plénipotentiaires casqués et masqués de l’impérialisme germanique, ils parlaient aux peuples. Chacune de leurs paroles portait, les événements devaient bientôt le démontrer. (…) Quand le général Hoffmann [représentant de l’armée allemande] reprochait aux bolcheviks de régner par la force, Trotsky répliqua : “Le général Hoffmann a raison. Il n’y a pas eu jusqu’à présent d’autres gouvernements. Il en sera ainsi tant que la société sera formée de classes ennemies. Mais ce qui étonne les gouvernements des autres pays, c’est qu’au lieu d’arrêter les grévistes, nous arrêtons les patrons organisateurs de lock-out ; au lieu de fusiller les paysans qui exigent la terre, nous arrêtons et nous fusillons les propriétaires fonciers et les officiers qui tentent de tirer sur les paysans...”
Mais à la mi-janvier, les Allemands ne laissèrent qu’une alternative aux bolcheviks : continuer une guerre impossible ou souscrire une paix désastreuse et démoralisante. Ils devaient accepter le dépeçage et l’occupation de vastes régions, en Ukraine, en Biélorussie et dans les pays Baltes, la perte du grenier à blé et des principales zones de production de fer et de charbon de la Russie. L’attitude à adopter face à cette paix allemande cruelle divisa le Parti bolchevik. Trotsky le raconte dans Ma vie (1930) : “L’impossibilité de continuer la guerre était évidente. À cet égard, il n’y eut pas ombre de désaccord entre Lénine et moi. (…) Dans les milieux du parti, ou du moins parmi les éléments dirigeants, l’opinion dominante, intransigeante, était qu’il fallait rejeter les conditions de Brest-Litovsk et refuser la signature de la paix. (…) Les principales questions débattues étaient celles-ci : pouvons-nous actuellement faire une guerre révolutionnaire et est-il admissible en général qu’un pouvoir révolutionnaire conclue des accords avec les impérialistes ? Sur ces deux points, j’étais totalement et intégralement du côté de Lénine, répondant avec lui par un non à la première question et par un oui à la deuxième. »
Lénine militait pour signer sans délai le traité de paix. Mais il était minoritaire et le comité central du parti adopta le compromis proposé par Trotsky : “Laisser traîner en longueur les pourparlers ; en cas d’ultimatum allemand, déclarer que la guerre est terminée, mais refuser de signer la paix.” Si, comme l’écrit Trotsky, “après les grèves d’octobre en Allemagne et en Autriche, on ne savait pas du tout si le gouvernement allemand se déciderait à prendre l’offensive”, la réponse tomba, implacable. Deux jours avant l’expiration du délai d’une semaine qui nous avait été fixé, nous reçûmes un avis télégraphique disant que les Allemands se considéraient à partir du 18 février, midi, comme en état de guerre avec nous. (…) Ils avaient repris l’offensive, s’étaient emparés de notre matériel de guerre. (…) Le 21 février, nous connûmes de nouvelles conditions de paix qui semblaient calculées pour rendre impossible la signature du traité. (…) Le 3 mars, notre délégation signa, sans le lire, le traité de paix. Devançant bien des idées de Clemenceau [artisan du traité de Versailles en 1919], la paix de Brest avait l’air d’un nœud de potence. »


vendredi 1 décembre 2017

Révolution russe de 1917 : la Révolution au fil des semaines (42)


Contrôle ouvrier et expropriations 

Dans les semaines qui suivirent la révolution d’Octobre, la classe ouvrière prit en main le contrôle des usines. Puis rapidement, devant le sabotage de la production par la bourgeoisie, vinrent les expropriations, réalisées par les travailleurs eux-mêmes. Le pouvoir confirma ces initiatives. Il organisa aussi la nationalisation des banques et leur fusion en un système bancaire public unique. Jour après jour, les points d’appui des anciennes classes dominantes étaient détruits et remplacés par les fondements d’une organisation sociale nouvelle. Voici un extrait du livre L’An I de la révolution russe de Victor Serge sur le sujet :
« Le programme économique des bolcheviks comportait le contrôle ouvrier de la production et la nationalisation des banques. Le décret instituant le contrôle ouvrier de la production fut rendu dès le 14 novembre. Il légalisait l’ingérence des ouvriers dans la gestion des entreprises, les décisions des organes de contrôle étant obligatoires et le secret commercial aboli. (…) Par l’exercice du contrôle, la classe ouvrière eût appris à diriger l’industrie ; par la nationalisation des établissements financiers et la maîtrise du crédit, elle eût récupéré, au profit de l’État, une partie des bénéfices prélevés par le capital sur le travail, diminuant d’autant l’exploitation. (…) Cet acheminement raisonné vers le socialisme ne pouvait pas être du goût du patronat. (…)
Le sabotage de la production par les patrons entraînait l’expropriation par voie de représailles. Quand le patron arrêtait le travail, les ouvriers remettaient eux-mêmes, à leur propre compte, l’établissement en activité. (…)
Les autorités soviétiques entreprirent un peu partout de réquisitionner les stocks de vivres des commerçants, les vêtements chauds, les chaussures, la literie des riches. Les visites domiciliaires se suivirent. Les impôts ne rentraient pas ; les autorités locales imposèrent – toujours de leur propre initiative et pour leurs propres besoins – des contributions à la population aisée. (…) À Ivanovo-Voznessenk, les ouvriers nationalisent, à la suite du sabotage patronal, deux manufactures textiles. Dans le gouvernement de Nijni-Novgorod, diverses entreprises sont nationalisées, les patrons ne voulant plus diriger la production. Dans le gouvernement de Koursk, les raffineries de sucre, les tramways, une fabrique de cuir, plusieurs ateliers mécaniques passent, pour des raisons analogues, entre les mains des ouvriers. Dans le bassin du Donietz, les directeurs des mines se joignent aux Blancs. Les ouvriers de soixante-douze mines constituent un Conseil de l’économie qui assume la gestion des entreprises. (…)
Le Conseil supérieur de l’économie nationale fut créé le 5 décembre pour coordonner l’action de tous les organes locaux ou centraux régissant ou contrôlant la production (…). Mais, dans la période que nous étudions, l’autorité locale est, en somme, la seule qui compte. (…)

L’expropriation des banques

La nationalisation des banques, rendue nécessaire par la résistance des établissements financiers au contrôle, par leur refus de collaborer avec le pouvoir prolétarien, par leur rôle dans le sabotage de la vie économique, fut l’une des plus grandes initiatives prises avant la réunion de la Constituante. Le décret érigeant la banque en monopole d’État parut le 14 décembre.
Toutes les banques privées fusionnaient avec la Banque d’État. Les intérêts des petits déposants seraient entièrement sauvegardés. Un second décret prescrivait, sous peine de confiscation, l’inventaire des coffres-forts appartenant aux particuliers. L’or monnayé ou en ligot devait être réquisitionné et tous les fonds placés en comptes courants à la Banque d’État. Les gardes rouges occupèrent les banques ; les directeurs récalcitrants furent coffrés. (…)
La nationalisation des banques suscita le jour même, à l’Exécutif panrusse des soviets, un débat entre Lénine et un menchevik de la fraction internationaliste. Ce dernier (d’accord sur le principe) souligna la complexité et la gravité des questions financières. (…)
“Vous nous parlez, dit Lénine, de la complexité de la question, et ce sont des vérités premières connues de tous. Si elles ne servent qu’à entraver les initiatives socialistes, celui qui les emploie n’est qu’un démagogue (…). Vous acceptez en principe la dictature du prolétariat, mais quand on l’appelle par son nom en langue russe, quand on parle d’une poigne de fer, vous invoquez la fragilité et la complexité des choses.” »

jeudi 16 novembre 2017

Révotution russe de 1917 (42) : vers la paix de Brest-Litovsk



L’armistice, l’état-major et les soldats

Au lendemain de la prise du pouvoir par les Soviets, le décret sur la paix proposait « à tous les peuples belligérants et à leurs gouvernements d’entamer des pourparlers immédiats en vue d’une paix juste et démocratique ». Une paix « dont a soif l’écrasante majorité des classes ouvrières et laborieuses, épuisées, harassées, martyrisées par la guerre, dans tous les pays belligérants » et qui « ne peut être qu’une paix immédiate, sans annexions (c’est-à-dire sans mainmise sur les terres étrangères, sans rattachement par la force de nationalités étrangères) et sans contributions de guerre ».
Mais pour cela, il fallait briser la résistance du Grand quartier général de l’armée tsariste – le GQG ou, en russe, la stavka – que les précédents gouvernements provisoires bourgeois avaient laissé en place. Victor Serge décrit cette étape du combat contre l’ancien appareil d’État dans son livre L’an I de la Révolution russe.
« Le 9 novembre, Lénine, Staline et Krylenko appelaient au téléphone le général Doukhonine et lui prescrivaient d’engager immédiatement avec les Austro-Allemands des négociations d’armistice. Ne recevant que des réponses évasives, ils terminaient cette conversation téléphonique en retirant à Doukhonine son commandement : “ Le sous-lieutenant Krylenko est nommé commandant en chef. ” Mais comment désarmer l’état-major ? (…) Un radio rédigé par Lénine appela la troupe à intervenir :
“ Soldats, la cause de la paix est entre vos mains. Vous ne laisserez pas les généraux contre-révolutionnaires saboter la grande œuvre de la paix, vous les placerez sous bonne surveillance afin d’empêcher des lynchages indignes de l’armée révolutionnaire et de ne pas leur permettre d’échapper au tribunal qui les attend. Vous observerez l’ordre révolutionnaire et militaire le plus strict.
Que les régiments du front élisent sur l’heure des mandataires afin d’engager avec l’ennemi des négociations formelles d’armistice. Le Conseil des commissaires du peuple vous y autorise. Informez-nous par tous les moyens du cours des négociations. Le Conseil des commissaires du peuple a seule qualité pour signer l’armistice définitif. ”
(…) Lénine précisa sa pensée : “ On ne peut vaincre Doukhonine, dit-il, qu’en s’adressant à l’initiative et au sentiment de l’organisation des masses. La paix ne sera pas faite que d’en haut, il faut l’obtenir par en bas. ” (…)
Les troupes se retournèrent contre la stavka ; le 18 novembre, au moment de fuir et de se transporter en Ukraine, l’état-major se trouva en présence des soldats. La stavka, écrit dans ses Mémoires l’émigré Stankévitch qui s’y trouvait, avait à peine commencé ses préparatifs de départ que des foules de soldats excités firent leur apparition, déclarant qu’elles ne laisseraient pas partir le GQG (…). La stavka n’avait pas un soldat pour la défendre… Doukhonine se disait surveillé par son ordonnance. ” Les officiers alliés, quelques généraux et quelques unités réactionnaires parvinrent seuls à s’échapper. À l’arrivée de Krylenko et des marins rouges, le généralissime Doukhonine, arrêté, fut massacré dans la gare de Mohilev. (…)
Tandis que Krylenko entrait à la stavka de Mohilev, l’homme du coup de force manqué de septembre, l’homme du rétablissement de la peine de mort aux armées, le dictateur rêvé naguère de la bourgeoisie russe et alliée, Kornilov, (…) se mit à la tête de son détachement et se fraya un chemin vers le Don (…). Le vieux général Alexeiev s’y consacrait depuis le début de novembre à l’organisation d’une armée de volontaires de l’ordre (…). Le général Dénikine s’exprime avec une louable précision sur la nature de ces forces de la contre-révolution. À l’appel de l’armée de volontaires répondirent “ les officiers, les junkers, la jeunesse des écoles, et très, très peu d’autres éléments (…). La nation ne se leva pas (…). Dans ces conditions de recrutement, l’armée [blanche] eut, dès sa naissance, un profond défaut organique ; elle revêtait le caractère d’une armée de classe. ” (…)
Le 18 novembre, tandis que succombait la stavka, un train spécial emportait vers Brest-Litovsk la délégation soviétique chargée de négocier l’armistice. Elle comprenait neuf personnes : A-A Ioffé, vieil immigré, ancien collaborateur de Trotsky à la Pravda viennoise ; L-B Kamenev ; L-G Mstislavski, officier socialiste-révolutionnaire de gauche et journaliste de talent ; G-I Sokolnikov, une terroriste d’hier (socialiste-révolutionnaire de gauche également), A-A Bitzenko ; un marin, un soldat, un paysan, un ouvrier. (…)
Ces négociations furent un duel. Pour la première fois dans l’histoire moderne, des hommes aussi différents, représentant non plus des États, mais des classes sociales ennemies, s’affrontaient. »